Potentiel de l’informatique quantique
Un grand bond en avant vers une nouvelle ère de l’informatique
L’informatique quantique pourrait bien changer la donne. Mais avant cela, les développeurs doivent résoudre quelques problèmes fondamentaux.

Début décembre, une équipe de scientifiques chinois a annoncé avoir conçu un ordinateur quantique capable d’effectuer un ensemble de calculs mathématiques 100 milliards de fois plus rapidement que le superordinateur le plus moderne au monde. Cette nouvelle est arrivée tout juste un an après la percée de Google dans l’univers de l’informatique quantique. L’entreprise de la Silicon Valley avait en effet indiqué en 2019 avoir réussi des calculs informatiques complexes en 200 secondes, calculs qui auraient pris près de 10 000 ans à un superordinateur classique à la pointe de la technologie.
«L’annonce de Google a été l’élément déclencheur», explique Roger McKinley, responsable des tests des technologies quantiques au sein de l’organisme britannique à financements publics, UK Research and Innovation. «Google a prouvé que c’était possible, ce qui a donné le feu vert aux investissements.»
La grande question maintenant est de savoir si les ordinateurs quantiques vont bientôt être d’un usage réel.
Avant de commencer à comprendre le potentiel réel de l’informatique quantique, quelques explications sont nécessaires au commun des mortels sur les différences de fonctionnement entre les superordinateurs traditionnels et ce type d’ordinateurs. Les ordinateurs traditionnels reposent sur des «bits», la plus petite unité de donnée, qui ne connaît que deux possibilités pour coder les informations: les zéros et les uns. Les ordinateurs quantiques, quant à eux, utilisent des «qubits» qui peuvent être l’un et l’autre en même temps. C’est ce que nous apprennent les lois surprenantes du comportement de la mécanique quantique.
«L’informatique quantique code les informations en degré de liberté de mécanique quantique et la manipulation des informations se fait dans un espace en mutation constante», indique Chad Rigetti, fondateur de Rigetti, une start-up fabriquant des circuits intégrés quantiques utilisés dans les ordinateurs quantiques. «Cela revient à comparer les variations de longitude et de latitude en ayant d’un côté le pôle nord et le pôle sud (informatique classique) et de l’autre un point n’importe où sur terre (informatique quantique).»
Dans la pratique, cela signifie que les ordinateurs quantiques peuvent réaliser des millions de calculs en même temps. L’idée n’est pas nouvelle. Le physicien américain Paul Benioff a développé le concept il y a des décennies, mais la théorie se rapproche de plus en plus de la pratique grâce aux investissements des géants de la technologie, au soutien de gouvernements visionnaires et aux efforts de start-ups utilisant des technologies de rupture (deep tech) qui sont souvent des émanations d’institutions universitaires.
La technologie de l’informatique quantique n’en est qu’à ses balbutiements, mais elle révèle un potentiel véritablement novateur. Comme ces ordinateurs manipulent tous les états possibles des particules quantiques, ils pourraient surclasser la vitesse de calcul et les performances des superordinateurs classiques. Ils seraient en mesure d’effectuer de nombreuses tâches impossibles à mener à bien avec les méthodes existantes et sont très prometteurs pour la modélisation de processus complexe. Notre capacité à découvrir de nouveaux matériaux, à prévoir le temps et le climat, et à concevoir des médicaments efficaces s’en trouverait améliorée.
Toutefois, il reste des obstacles à surmonter alors que les spécialistes de la technologie dans les universités et le secteur privé cherchent à prouver que leurs machines sont stables et peuvent fonctionner dans des conditions normales.
Un grand bond en avant
Alan Baratz, PDG de D-Wave Systems, une entreprise canadienne qui commercialise ce qu’elle appelle le premier ordinateur quantique au monde à être disponible sur le marché, déclare que cette technologie a déjà atteint un niveau de viabilité commerciale. «Nous sommes à présent capables de résoudre de véritables problèmes commerciaux en conditions réelles.»
L’accès à Leap, le service d’informatique quantique basé dans le cloud de l’entreprise, coûte 2 000 $ (1 600 € env.) par heure pour traiter des demandes et 100 $ (80 € env.) par heure pour des services hybrides de résolution qui combinent des algorithmes classiques et des ressources quantiques. Volkswagen, un client de D-Wave, a réduit de 80% ses déchets de peinture en calculant une séquence de travail plus efficace pour ses outils de fabrication.
L’industrie chimique et des matériaux sera surement l’une des principales intéressées. «Une entreprise de batterie peut avoir besoin de 18 mois pour concevoir et tester une nouvelle électrode. Avec l’informatique quantique, vous pouvez simuler les propriétés des matériaux jusqu’au niveau quantique en deux semaines seulement», explique M. McKinley.
La simulation quantique pourrait changer l’organisation de la recherche et développement scientifiques en permettant de modéliser et de faire davantage de simulations avant de passer aux expériences pratiques.
Les secteurs vivant des informations, comme la finance, pourraient aussi profiter des performances de la puissance quantique. M. Rigetti est en train d’utiliser l’informatique quantique pour alimenter des algorithmes d’apprentissage automatique appliqués à des ensembles de données financières. «La finance est un secteur extrêmement informatisé et mathématique. Les chances sont bonnes pour intégrer une nouvelle forme de matériel informatique dans les méthodes et les routines de travail au sein de domaines comme l’optimisation des grands portefeuilles», indique M. Rigetti.
La banque britannique Standard Chartered fait partie d’un groupement financé à hauteur de 10 millions de livres sterling (11 millions d’euros) organisé par M. Rigetti afin d’élaborer des applications commerciales à l’informatique quantique. La banque se penche sur l’utilisation de l’informatique quantique dans des processus, notamment pour simuler des portefeuilles financiers et accélérer de manière exponentielle la génération de données de marché. De son côté, la banque espagnole CaixaBank utilise l’apprentissage automatique quantique pour catégoriser les risques de crédit.
Les experts pensent que l’apprentissage automatique, un domaine populaire de l’intelligence artificielle, n’arrivera à développer son plein potentiel que s’il reçoit un (gros) coup de pouce de l’informatique quantique. «L’apprentissage automatique a besoin d’une puissance de traitement plus importante. Certains disent que l’informatique quantique est indispensable pour accéder à l’apprentissage automatique à l’état pur, car nous avons sous-estimé la complexité de ce domaine», précise M. McKinley.
Il reste néanmoins encore des obstacles techniques considérables à surmonter. Le principal consiste à créer suffisamment de qubits pour le traitement, car la manipulation de particules subatomiques est un processus délicat pouvant devenir instable à la moindre perturbation. Les taux d’erreur sont élevés pour certains systèmes d’informatique quantique et plus la période de traitement est longue, plus des erreurs sont susceptibles de se produire.
Plusieurs méthodes existent pour construire des systèmes quantiques, p. ex. en utilisant des qubits superconducteurs, des ions piégés, le diamant et le silicone. La méthode la plus efficace n’a toutefois pas encore été identifiée, ce qui freine les investissements.
«Nous sommes confrontés à un problème à la VHS-Betamax», explique McKinley en faisant allusion à la présence forte sur le marché de deux formats concurrents de matériel vidéo avant l’arrivée du DVD et du streaming. «Les approches pour le matériel sont variées et les investisseurs ne sont pas sûrs laquelle privilégier. J’interprète cela comme le signe positif d’un secteur en transition, mais certains investisseurs le voient plutôt comme une marque de précocité et ils préfèrent attendre que les options se réduisent.»
Les financements des gouvernements aideront à assurer la transition. Des agences visionnaires voient les implications sociétales apportées par l’informatique quantique. M. McKinley indique que le traitement quantique peut avoir un impact positif considérable sur l’imagerie et les technologies de capteurs, ce qui permettrait de l’appliquer dans l’imagerie médicale ou les systèmes autonomes sans chauffeur et la surveillance des émissions.
Il signale également les problèmes éventuels de sécurité si jamais du retard est pris dans ce domaine. De fait, le programme national britannique a été lancé en réaction au «flash crash» de mai 2010, un krach financier qui a mené à la destruction rapide de centaines de millions de dollars sur les marchés boursiers. «Dans cet exemple, la vitesse de traitement a été à l’origine d’une instabilité dans les échanges financiers. Dans une économie mondialisée, dès qu’une entreprise ou un pays dispose de nouvelles possibilités, cela a des répercussions.»
Le gouvernement britannique a investi près de 1 milliard de livres sterling (1,1 milliard d’euros) dans l’informatique quantique, y compris 120 millions de livres sterling (135 millions d’euros) dans quatre pôles mixtes universitaires et industriels dédiés à la mise en place d’approches quantiques sur les capteurs et la localisation, le temps et l’imagerie. D’après M. McKinley, le Royaume-Uni est un pionnier du domaine grâce à ses bons résultats en physique et en ingénierie et, paradoxalement, grâce à l’espace vacant laissé par l’absence de géants de la technologie dans le pays qui laisse de la place aux start-ups et aux entreprises issues des universités. «Comme nous n’avons pas de chênes majestueux, le sol de la forêt reçoit en abondance la pluie et la lumière du soleil. Nous ne sommes pas dans l’ombre d’un Google ou d’un Microsoft.»
Mais les jeux restent ouverts alors que d’autres gouvernements investissent dans leurs propres ressources. Le gouvernement américain a récemment annoncé un nouveau financement de 1 milliard de dollars (900 millions d’euros) en faveur de pôles de recherche sur l’IA et l’informatique quantique afin d’explorer une série d’applications allant de l’océanographie à la physique à haute énergie. L’UE a lancé l’initiative sur dix ans Quantum Technologies Flagship financée à hauteur de 1 milliard d’euros. Le Canada a investi 1 milliard de dollars environ entre 2009 et 2019, et des sources indiquent que le gouvernement chinois construirait un National Laboratory for Quantum Information Sciences pour 10 milliards de dollars.
Une chose est sûre, personne ne souhaite être la lanterne rouge dans la course à l’informatique quantique.