Révéler la véritable nature de notre empreinte environnementale

Le modèle des limites planétaires a vu le jour il y a dix ans. Il révolutionne depuis lors notre conception de l’impact environnemental en allant au-delà du simple changement climatique.

En 2009, un groupe de scientifiques s’est rassemblé dans la ville suédoise de Tällberg pour tenter quelque chose d’inédit: Élaborer une analyse de l’empreinte environnementale de l’humanité à un niveau de précision jamais atteint jusqu’alors. Leur première tentative n’a pas été couronnée de succès, mais leur persévérance a payé quelques mois plus tard. 

Une décennie après, ce modèle révolutionnaire a élargi notre conception des menaces que l’humanité pose aux systèmes naturels essentiels à la vie. Le cadre des limites planétaires dans sa forme actuelle influence également l’action des gouvernements, des entreprises et des investisseurs dans le monde entier.

Ce modèle se caractérise par son degré de précision. Il établit des seuils quantifiables aux neuf phénomènes environnementaux les plus nuisibles, depuis le changement climatique et l’utilisation de l’eau douce jusqu’à la perte de la biodiversité et l’utilisation des sols. 

Il stipule que tout dépassement de ces valeurs seuils risque de déclencher des dommages abrupts ou irréversibles aux systèmes biophysiques de la Terre. Quatre de ces limites ont été dépassées depuis la création des LP en 2009.

Planetary boundaries environmental impact performance

Dr Sarah Cornell, responsable d’une équipe internationale de chercheurs travaillant sur le modèle LP au Stockholm Resilience Centre, explique que les conclusions préoccupantes livrées par cette méthode forcent les gens à revoir l’impact environnemental de leurs activités.

«Le concept des limites planétaires nous aide à appréhender l’effet cumulatif des changements locaux sur l’environnement. Il est très important de pouvoir quantifier afin de diagnostiquer l’ampleur du problème planétaire auquel l’humanité contribue. La planète Terre a la fièvre. C’est un signe d’un niveau d’alerte rouge», dit-elle.

«Le modèle comble une lacune importante de la gouvernance environnementale. Notre société peut l’utiliser pour gérer nos activités en lien avec notre planète.»

Bien plus qu’une affaire de CO2

L’ambition du Dr Cornell est de transformer notre approche de l’environnement. Jusqu’à récemment, le changement climatique dominait les discussions. Les pays et les entreprises étaient évalués uniquement sur l’ambition de leurs objectifs d’émissions de CO2.

Mais les problèmes de notre planète dépassent le cadre du réchauffement climatique.

«Le changement climatique est simple dans la mesure où il nous permet de déterminer un niveau mondial d’émissions qui correspond aux objectifs de réchauffement global», indique Dr Cornell.

«Mais la vie est plus complexe que le simple climat physique. Tous les problèmes environnementaux ne disposent néanmoins pas des mêmes infrastructures de recherche. Ainsi, nous collaborons avec des agences du secteur public, des ONG et des entreprises pour convertir le diagnostic fourni par les limites planétaires en des objectifs réels en vue de réduire la pression exercée sur la planète.»

Dans le cadre de leurs efforts d’éducation, Dr Cornell et ses collègues ont réalisé une étude montrant comment les entreprises et les investisseurs peuvent utiliser le modèle LP pour mesurer et réduire la pollution et les déchets. Elle a en particulier déterminé des seuils d’utilisation des ressources et d’ émissions pour chaque secteur de l’économie mondiale. Ces valeurs sont exprimées sous forme de volume par million de dollars de bénéfices.1

«L’univers biophysique est très différent de l’univers professionnel, mais les interactions entre les entreprises sont importantes dans le cadre de la pérennité des affaires ou de la société», explique Dr Cornell.

«Nous avons besoin de savoir comment amener la société dans son ensemble à changer sa manière de vivre. Les investisseurs jouent un rôle essentiel afin que les entreprises puissent effectuer les changements nécessaires et devenir de nouveaux secteurs solides et durables.»

Une nouvelle dynamique au sein de la gouvernance environnementale

Sur les quatre seuils LP actuellement dépassés, la perte de la biodiversité préoccupe particulièrement Dr Cornell. 

Cette limite indique que pour préserver la pérennité de la biodiversité, le taux de disparition acceptable pour les animaux et les plantes doit être inférieur à dix extinctions par millions d’espèces par année (MEA).

Le modèle révèle que le rythme actuel est 100 fois plus élevé que le taux naturel.

«Nous n’avons pas conscience de ce que cela signifie de détruire la vie autour de nous ou de couper un fil dans la toile de la vie. Je trouve cela très préoccupant», continue Dr Cornell.

«Nous modifions et simplifions l’écosystème, car cela améliore notre efficacité à court terme. Nous tirons certes un profit immédiat d’une augmentation de la production agricole ou énergétique, mais nous créons par la même occasion une vulnérabilité sur le long terme.»

Le coût économique de notre inaction face à la perte de la biodiversité est immense. L’OCDE, un groupe de réflexion, estime qu’entre 1997 et 2011, le monde a perdu jusqu’à 20 billions de dollars par an à cause du changement de l’utilisation des sols, comme la déforestation et l’urbanisation, ainsi que 11 billions de dollars supplémentaires des suites de la dégradation des sols.2

Les entreprises font face à une pression croissante pour agir. 

L’OCDE estime que les investissements alloués à la protection de la biodiversité atteignent péniblement les 39 milliards de dollars. Une somme dérisoire par rapport aux 500 milliards de dollars injectés tous les ans dans des activités favorisant la perte de la biodiversité, comme l’extraction de carburants fossiles et les subventions agricoles.

Selon Dr Cornell, il est essentiel que les entreprises et les gouvernements affrontent, et s’engagent concrètement à résoudre, les défis environnementaux urgents mis à jour par le modèle LP.

«Pour la décennie à venir, le problème environnemental semble plus urgent qu’au cours des dix dernières années. Mais une des choses qui me fait vraiment espérer, c’est que les échanges entre les entreprises, les universitaires et le grand public se sont améliorés. La gouvernance environnementale est traversée par une nouvelle dynamique», indique-t-elle.

«Les entreprises ont fait des promesses concernant l’environnement. Cela suffira-t-il? Nous allons continuer d’analyser scientifiquement la situation. Les consommateurs votent avec leur portefeuille. Les entreprises ne peuvent plus se cacher.»

[1] Butz, C., Liechti, J., Bodin, J. et al. Sustainability Science (2018) 13: 1031. https://doi.org/10.1007/s11625-018-0574-1
[2] OCDE (2019), Biodiversité: Financer la biodiversité, agir pour l’économie et les entreprises, rapport préparé pour la réunion des ministres sur l’Environnement du G7, 5 et 6 mai 2019.